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Les salariés d’Air France ne sont pas des criminels !

ParCGT MEL

Les salariés d’Air France ne sont pas des criminels !

 

 

 

Xavier Mathieu Ancien leader CGT des Continental en lutte

 

« Je suis bouleversé par le traitement médiatique que subissent les salariés d’Air France. J’ai envie de rendre hommage à ces salariés qui depuis des années s’en prennent plein la gueule.

 

Le DRH d’Air France, comme notre directeur qui à l’époque avait pris des oeufs dans la gueule, n’a rien subi en comparaison de ce que subissent les salariés. Il n’y a jamais eu de drame du côté des patrons. Alors que du côté des salariés, ce sont des drames permanents. À Continental, certains ont perdu leur maison, ont sombré dans la consommation d’antidépresseurs ou d’alcool, ont divorcé ou se sont suicidés. Quand on voit comment sont traités les événements, on comprend que 90 % des médias sont détenus par des patrons du CAC 40. Lorsque Continental a fermé, les salariés ont été traités de voyous pendant plusieurs jours par les médias, alors que par la suite, c’est bien la direction de Continental qui a été condamnée par les tribunaux. Dans les cinq procès qui ont eu lieu, il a été démontré qu’il n’y avait aucune raison économique à ce que l’entreprise ferme. Cela me dérange de voir la une des journaux avec un mec qui s’est fait arracher la chemise alors que depuis la fermeture de Continental, on aurait dû voir au moins cinq unes avec les collègues qui se sont foutus en l’air. La violence est aussi du côté du gouvernement, qui s’était engagé à défendre les petites gens et qui, au contraire, les massacre. Manuel Valls n’a même pas eu un mot pour les 2900 salariés licenciés. Ce que fait le Parti socialiste aujourd’hui, c’est trahir la classe ouvrière. En mettant un banquier de chez Rothschild au ministère de l’Économie, il fait un bras d’honneur aux travailleurs. Les socialistes au pouvoir participent à la montée du Front national, qui ne pense qu’à ramasser les cadavres. Il faut virer ces gens-là. »

 

 

 

 

Julien Bayou Porte-parole d’Europe Écologie-les Verts (EELV)

 

« Je suis attristé par la tournure du débat. Certes, personne ne souhaite vivre le traumatisme subi par le DRH d’Air France, mais il ne faut pas oublier en même temps que personne ne souhaite vivre celui qui vise 2 900 familles et peut-être jusqu’à 5 000, si l’on en croit le Canard enchaîné. Dans les médias, la plupart des dirigeants politiques ont condamné les violences, mais que fait-on face au pourrissement de la situation ? Air France a eu beau jeu depuis quatre ans de demander des efforts à ses salariés et de cibler les pilotes, qui ont fait des efforts importants. Aujourd’hui, l’État, actionnaire important, ne parvient pas à mettre direction et syndicats sérieusement autour d’une table de négociations. Cette situation est d’autant plus paradoxale que le taux de remplissage des avions de la compagnie est au maximum, avec un prix du kérosène aujourd’hui au plus bas. Il y a comme une arnaque… Dans le même temps, on voit le premier ministre Manuel Valls qui intervient uniquement pour condamner l’acte de violence, contribuant ainsi à accentuer le désespoir.

 

C’est mal mesurer la violence des licenciements. Je pense par exemple à Xavier Mathieu, délégué chez Continental, qui s’est retrouvé devant les juges et a été humilié alors qu’il ne faisait que dénoncer un plan de licenciements injuste. C’est ça la vraie violence sociale… Cela me fait penser à cette phrase de Bertolt Brecht : « On parle toujours de la violence d’un fleuve et jamais de la violence des rives qui l’enserrent ». »

 

 

 

 

 

Philippe Poutou Ouvrier chez Ford, porteparole du NPA

 

« Quel tir d’artillerie contre les salariés d’Air France : toute une caste de privilégiés a lâché sa haine de classe :

Valls, Sarkozy, Gattaz, éditorialistes… Par une exagération volontairement outrancière, leur but est d’étouffer la moindre velléité de rébellion et de soumettre celles et ceux qui osent se défendre. Le délire sur une soi-disant violence inacceptable (bousculade et chemise déchirée !) permet de parler d’une violence invisible, vécue au quotidien par des millions de salarié(e)s. Celle de l’exploitation de travailleurs toujours plus précarisés, dans un contexte de menaces et de chantages permanents. La violence, c’est : le licenciement, le chômage, la pauvreté, la galère au boulot, l’intensification du travail, l’usure, l’invalidité, et aussi le harcèlement des chefs, la pression des directions, le mépris quotidien ! En ces temps de compétitivité obsessionnelle, c’est une véritable guerre de classes, celle des capitalistes pour s’approprier un maximum de richesse. Il s’agit là d’une violence préméditée, pensée et organisée. Trop souvent, nous subissons et nous nous taisons. Mais la colère est bien là, elle s’accumule et heureusement parfois elle explose : comme les Conti en 2009 ou aujourd’hui à Air France. Cette colère légitime est justifiable car il s’agit de la dignité des exploités. Elle est salutaire. Il est urgent de trouver les moyens de relever la tête, de ne plus subir, de s’organiser pour passer à l’offensive et lutter collectivement. L’idée n’est pas d’appeler à déshabiller tous les patrons mais bien de leur enlever le pouvoir, les moyens de nuire et d’écraser. Pour cela, il faut prendre nos affaires en main, contrôler nos outils de production, organiser nous-mêmes le travail. En clair, combattre le système capitaliste. »

 

 

 

 

Pierre Laurent Secrétaire national du Parti communiste français

 

 

« On voit bien le message que les faiseurs d’opinion veulent nous vendre avec les images des incidents de Roissy et maintenant les poursuites policières contre plusieurs salariés. Ces derniers seraient des espèces de sauvages sans foi ni loi, et les patrons des responsables injustement pris à partie. Les Français ne sont pas dupes, plusieurs enquêtes le montrent. Ce qui vient de se passer à Roissy est d’abord le signe de l’échec total du « dialogue social » à la mode du pouvoir. En fait de dialogue, les salariés n’ont droit qu’à la politique du fait accompli, au discours austéritaire, à l’appel aux sacrifices. Où est le dialogue quand on vous annonce, de manière froide et provocatrice, 2 900 suppressions de postes ? La colère sociale en France aujourd’hui est grande. La majorité des Français « aimeraient bien se rebeller mais ne le font pas », disent les mêmes enquêtes. J’ajoute : ils ne le font pas encore. Car il existe une « hargne sourde que ressentent de nombreux Français derrière leur apparente résignation ». À cette colère, nous voulons ouvrir les chemins de l’espoir, montrer que d’autres politiques sociales et économiques sont possibles pour Air France. Pour ma part, je l’avais dit le 23 septembre dernier à Roissy, et je redis dans les colonnes du journal de Jaurès mon soutien complet aux salariés d’Air France dans leur bataille pour l’emploi, pour un travail de qualité, pour la sauvegarde et le développement de cette grande société. Non à la criminalisation de leurs actions, ou des syndicats. J’appelle le gouvernement, qui jusqu’à présent a laissé faire la casse sociale et le démantèlement de la compagnie, à prendre ses responsabilités en votant en CA contre le plan de licenciements et en permettant l’ouverture du dialogue social dans l’entreprise dont il est actionnaire. »

 

 

 

 

 

Gérard Filoche Ancien inspecteur du travail et membre du Parti socialiste

 

« Le bilan de la semaine passée est épique : la faute aux dirigeants d’Air France qui avaient déjà supprimé 15 000 emplois depuis 4 ans, et qui, avec l’appui des représentants du gouvernement, ont cru judicieux d’annoncer, par voie de presse, en dehors du comité central d’entreprise convoqué le lundi 5 octobre au matin, la suppression de 2 900 nouveaux postes. C’était un coup de force illégal qui violait le droit du CCE à être saisi le premier de cette éventuelle proposition et d’en discuter. Les dirigeants, autour du financier méprisant Alexandre Begoügne de Juniac, espéraient matraquer par cette annonce précipitée les résistances du personnel et le diviser. Ils ont eu l’effet inverse : 2 000 manifestants de l’intersyndicale majoritaire se sont insurgés aux portes du CCE, cela a créé une telle colère légitime, partagée et spontanée que des échauffourées ont eu lieu et que deux DRH responsables se sont vus pris à partie et leurs chemises déchirées. Cela aurait pu être pire, et vu l’ampleur de la provocation, on peut s’étonner et saluer que le sangfroid l’ait emporté et que les syndicalistes et les personnels eux-mêmes se soient autolimités, et que les deux DRH s’en soient bien sortis. La direction d’Air France, les gros médias (possédés désormais à 95 % par 7 milliardaires) ont pourtant déchaîné une campagne d’une sauvagerie inouïe. Le premier ministre, sans un mot pour les victimes licenciées, s’est excité et les a traitées de « voyous ».

 

Ce fut une curée de la part des nantis criant abusivement « au lynchage » durant plusieurs jours. Des menaces policières d’enquête, de poursuites pénales ont même été mises en avant en calomniant la colère des salariés. Ceux-ci non seulement étaient victimes mais devenaient en plus humiliés et persécutés. Ce n’est pourtant pas, dans l’histoire de la lutte des classes depuis plus de 150 ans, un événement inédit : quand le patronat se comporte de façon impitoyable, il suscite des réactions souvent bien plus radicales que celles-là.

 

Les patrons ont le cynisme discret des tapis feutrés et l’égoïsme de leurs clubs fermés de décision, les salariés ont le pouvoir de l’émotion brouillonne et de la mobilisation indignée, comme le disait en substance Jean Jaurès en juin 1906 à l’Assemblée. La violence des exploités et des exploiteurs ne peut pas être mise sur le même plan. D’ailleurs, la vidéo la plus vue de la semaine, c’est celle d’Ericka, une jeune femme tentant de s’adresser dans les locaux du CCE, de façon émouvante, au mur glacé des regards et des costumes chics des patrons.

 

La gesticulation médiatique exacerbée n’aura pas tenu la semaine: la direction d’Air France a été obligée de rouvrir des négociations, alors qu’elle avait l’intention initialement de les enterrer. Le premier ministre s’est illustré, là, dans un rôle qui, historiquement, laissera de lui une image blessante. Un sondage en fin de semaine a établi que 54 % des Français « comprenaient ». Le paradoxe, c’est qu’à la fin, l’échauffourée tant dénigrée est salutaire à la cause du combat contre les licenciements. À méditer. »

 

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