« Spleen »,
l’éditorial de Maurice Ulrich
Ah, la crise, la crise qui n’en finit pas de poser sur nous le couvercle du ciel «bas et lourd» dont parlait Baudelaire dans Spleen. François Hollande, mardi soir, n’a pas manqué de nous le rappeler. L’année 2013 a été difficile, il a dû nous demander des efforts (hélas!), car la crise, donc, était encore «plus longue, plus profonde que nous ne l’avions nous-mêmes prévu».
Il pensait sans doute aux temps désormais si lointains où son ennemi était la finance. Il en est bien revenu et comme l’écrivait hier l’un des éditorialistes du Figaro, Guillaume Tabard, en saluant «une correction de tir implicite mais bien réelle»: «Tous ceux qui, sur la gauche du président, réclamaient un relâchement de ce qu’ils appellent l’austérité et les cadeaux aux entreprises en seront pour leurs frais. C’est un social libéralisme assumé que François Hollande a défendu.» Un autre éditorialiste du Figaro, hier encore, qui n’était autre que le propriétaire du journal, Olivier Dassault (on n’est jamais si bien servi que par soi-même), semblait presque paraphraser le président, répétant à son tour que 2013 n’avait pas été une excellente année (c’est vrai) pour inviter tout aussitôt à la baisse des dépenses publiques, etc.
La crise donc. Mais c’est curieux tout de même comme cette pression angoissante, cette promesse implicite de sueur et de larmes contrastaient hier avec tous les titres d’une double page des Échos consacrée à la Bourse où le spleen n’était pas de mise. On ne saurait résister au désir de les citer longuement: «Wall Street domine une capitalisation mondiale qui a doublé en dix ans. La bonne tenue des marchés actions et le retour des introductions ont dopé la valeur des Bourses mondiales»; «Pluie de records à New York»; «Tokyo: du jamais-vu en quarante ans»… Mais chez nous? Pas de problème: «Le CAC 40 au plus haut depuis cinq ans»; «Bon millésime à la Bourse de Paris»… On peut lire encore que la Bourse irlandaise a dominé l’Europe, avec plus de 32% de hausse, devant celle d’Helsinki et celle d’Athènes. Oui, oui, Athènes, capitale d’une Grèce dont le peuple est matraqué par les politiques d’austérité et qui vient de prendre la présidence de l’Union européenne, ce qui devrait lui permettre de faire valoir son exemple à l’usage de tous.
C’est donc ça et ce serait peu de dire que la crise n’est pas la même pour tout le monde. Car la réalité, c’est que la crise pour les uns fait le bonheur des autres. La réalité c’est que les dividendes versés aux actionnaires sont prélevés sur les peuples et que ce qui leur coûte c’est le capital. La vérité, c’est que les politiques d’austérité qui leur ont été imposées n’ont jamais eu l’objectif de relancer une croissance réelle et saine, fondée sur le progrès social, mais celui de rétablir et d’accroître les profits. L’ennemie des peuples, c’est la finance, mais elle n’est plus semble-t-il l’ennemie de l’ex-candidat depuis qu’il est élu. Les largesses accordées aux entreprises avec le contrat d’emploi et de compétitivité se retrouvent dans la hausse du CAC40 à la Bourse. Les nouvelles annonces de François Hollande en faveur des entreprises suivront le même cours aussi vrai que les fleuves vont à la mer car il s’agit de la même logique, et on comprend très bien Pierre Gattaz: «Le Medef est prêt à participer et à s’impliquer activement pour bâtir concrètement le pacte annoncé par le président de la République.»
Maurice Ulrich
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