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P. Martinez dans l’Huma :  » Comment faire pour gagner »

ParCGT MEL

P. Martinez dans l’Huma :  » Comment faire pour gagner »

Syndicalisme. « Un large mouvement social de contestation peut avoir lieu »

ENTRETIEN RÉALISÉ PAR MARION D’ALLARD ET CLOTILDE MATHIEU
MERCREDI, 28 MARS, 2018

 

La journée d’action interprofessionnelle du 19 avril proposée par la CGT répond à une demande des salariés de faire converger les mobilisations à partir de leurs revendications, explique son secrétaire général, Philippe Martinez. Entretien.

Depuis jeudi dernier, une campagne médiatique vise à démontrer que les grèves seraient très marginales, notamment dans la fonction publique. La une du Parisien-Aujourd’hui en France, au lendemain du 22 mars, titrait par exemple : « Ça ne prend pas »…

Philippe Martinez C’est de l’intox. Regardez chez les cheminots. Le 22 mars n’était pas une journée de grève, et pourtant, 35 % d’entre eux ont cessé le travail. À Bercy, au ministère des Finances, le taux de grévistes était de 35 %. Dans les hôpitaux, c’est plus compliqué. Du fait du manque d’effectifs, les agents n’ont pas d’autre choix que de rester s’occuper des patients les jours de grève. Mais qui ne peut pas voir le mécontentement des personnels de santé ? Dans les Ehpad, c’est également le cas. Dans les mairies, le nombre de grévistes était important là où la CGT est implantée. Nous considérons que le 22 mars a constitué une journée de très forte mobilisation, plus importante par exemple que le 10 octobre dernier, et ce malgré une intersyndicale moins large dans la fonction publique. C’est la réalité. Le reste est une bataille de communication.

La CGT a appelé dès le 22 mars au soir à une nouvelle journée d’action interprofessionnelle le 19 avril prochain. Pourquoi une telle initiative ?

Philippe Martinez Depuis le mois de janvier, l’idée d’une journée d’action interprofessionnelle était dans les tuyaux. La réussite du 22 mars, à laquelle s’ajoute une multitude de mobilisations chez Air France, dans le secteur de l’énergie, dans les grosses entreprises de la métallurgie, à l’image de Ford, ou encore dans la distribution comme chez Carrefour ou chez Pimkie, nécessite une convergence. Les salariés la demandent. D’autant que les mobilisations ont démarré bien avant le 22, avec celles des Ehpad et des retraités. De mémoire, cela fait très longtemps qu’on n’avait pas vu autant de retraités dans la rue que le 15 mars. Les mouvements dans la fonction publique pénitentiaire, ou encore à La Poste, dont on ne parle pas beaucoup, en témoignent aussi. J’étais vendredi dernier à Rennes, les postiers du bureau de Crimée en étaient à leur 74e jour de grève. Des cas similaires ont eu lieu dans l’Aveyron, à Tarbes… Il y a beaucoup de luttes. Et le 19 avril sera donc une journée d’action interprofessionnelle.

L’automne dernier, ce type de mobilisation n’a pourtant pas été très suivi…

 

Pour Philippe Martinez, « le 22/mars a constitué une journée de très forte mobilisation, plus importante par exemple que le 10/octobre dernier ». Nicolas Cleuet

 

Philippe Martinez On a analysé les deux mouvements de 2016 et 2017. Ces derniers ne concernaient que le Code du travail, ce qui n’a pas permis de mobiliser largement les fonctionnaires. Or les agents de la fonction publique se battent pour leurs emplois, leurs salaires, leurs statuts. Il faut partir des réalités du monde du travail. Et, plutôt que de globaliser et de donner un mot d’ordre, nous proposons à tous de se mobiliser sur la base de leurs propres revendications pour qu’ils agissent ensemble en même temps. C’est la grande différence. Des débats existent dans la CGT et au-delà, mais c’est en tout cas ce que les salariés demandent. C’est un peu nouveau. Aujourd’hui, nous devons faire du cousu main. En 1968, c’est parti comme cela. Il n’y a pas eu d’appel général à la grève, mais un enchaînement de mobilisations qui ont convergé. Le patronat avait le même discours qu’aujourd’hui, or des avancées sociales énormes se sont produites pour le monde du travail.

La CGT ne risque-t-elle pas de se trouver isolée en agissant en dehors de toute intersyndicale ?

Philippe Martinez Nous avons sollicité les autres confédérations. La CFDT, la CFTC, la CFE-CGC, l’Unsa et FO ont décliné notre rendez-vous. Nous assumons donc nos responsabilités. Et, d’après ce que je lis ou j’entends, les quatre autres organisations représentatives ne sont pas prêtes à se mobiliser. La CFDT est absente de toutes les intersyndicales, sauf cas exceptionnel, comme chez les cheminots. Pour FO, c’est différent. À un mois de son congrès, il est aujourd’hui difficile de discuter avec la confédération. Mais ses syndiqués sont cependant présents dans les mobilisations, que ce soit dans les professions ou dans les territoires.

N’avez-vous pas peur d’irriter les autres syndicats de la fonction publique ou de cheminots, alors que les uns se sont réunis hier et que les autres ont leur propre calendrier ?

Philippe Martinez Ce débat a déjà eu lieu entre la fonction publique et les cheminots, lors de la préparation de la journée du 22 mars. Cela s’est très bien passé, il n’y a eu aucune confusion et chacun a pu mettre en avant ses problématiques.

Concernant les cheminots, cette grève de deux jours sur cinq sur trois mois provoque de fortes réactions de la part de la direction de la SNCF et du gouvernement, moins chez les usagers. Elle a par ailleurs suscité des échos très positifs parmi les cheminots. Est-ce cela, le « cousu main »  ?

Philippe Martinez Cette forme de lutte à échéance régulière, que l’on connaît déjà par exemple dans l’énergie ou chez Air France, est inédite chez les cheminots. Cela montre la détermination de la profession, tout en permettant à toutes les catégories de personnels de s’inscrire dans le mouvement. Certains peuvent « choisir leur date ». Je pense à l’encadrement très en colère mais qui, vu les pressions qui s’exercent de la part de la direction, n’a pas toujours la faculté de participer à un mouvement. Cela permet également de garder le contact avec les usagers et de pouvoir faire le point régulièrement avec eux. Nous sommes censés les voir trois jours sur cinq. Dans le passé, le gouvernement et la direction de la SNCF ont joué sur cette opposition entre usagers et grévistes dans les services publics, mais là on atteint les sommets en termes de mensonges, d’insultes. Le PDG de la SNCF a tout de même parlé de « sabotage ». Or, depuis le début du mouvement, les expériences montrent que le contact avec les usagers est intéressant. Je me suis déplacé à Gap, mais aussi à Nice. J’ai passé trois heures à la gare, nous avons distribué 2 500 tracts. L’accueil est bon. On parle du changement de statut de l’entreprise et des problèmes des usagers car, contrairement à ce qui est dit, le statut des cheminots n’est pas la cause des problèmes de la SNCF.

Après plusieurs réformes (assurance-chômage, formation professionnelle, ordonnances de la loi travail…), les syndicats sont mis sur la touche. Allez-vous changer de méthode et quitter la table des concertations, comme l’a laissé entendre le secrétaire général de la CGT cheminots, Laurent Brun ?

Philippe Martinez Ce sont évidemment les cheminots qui vont étudier la question, mais on s’interroge à tous les niveaux de la CGT sur l’intérêt de jouer les faire-valoir, les potiches d’une concertation et d’un dialogue social qui n’en sont pas. L’exemple le plus frappant est celui de la formation professionnelle, pour laquelle une négociation a eu lieu entre le patronat et les syndicats, mais, comme cela ne plaisait pas à l’exécutif, le gouvernement a au final fait ce qu’il a voulu. C’est symbolique d’un gouvernement qui fait de la communication. On peut aussi énumérer les réunions de « concertation ». L’expérience montre que, lorsque le gouvernement fait une annonce, des réunions peuvent s’ajouter au calendrier pour refuser finalement de discuter des problématiques qui ne l’intéressent pas. On veut nous cantonner dans le club des « contestataires », mais, dès que nous faisons des propositions, le gouvernement les met sous la table. C’est pour cela qu’on s’interroge sur l’intérêt de participer à ces réunions. Et il faut essayer, lorsqu’il existe des cadres intersyndicaux, de le faire avec tout le monde, comme cela a été le cas dans la fonction publique.

 

 

L’évacuation des grévistes de l’université de Montpellier, avec la complicité du doyen de la faculté de droit, ou encore la mise sous tutelle de l’université Jean-Jaurès à Toulouse ne révèlent-elles pas une tentative de vouloir faire taire toute réaction de la jeunesse ?

Philippe Martinez Il y a la volonté de faire taire tout le monde. Ce qui s’est passé à Montpellier ou à Toulouse est gravissime. C’est la remise en cause du droit des étudiants de se réunir en assemblée générale et de décider librement de leurs actions. Loin d’être des mouvements marginaux comme on peut le lire ou l’entendre, il s’agit de mobilisations massives. 2 000 ou 3 000 étudiants réunis, c’est un mouvement important. L’intervention des autorités, tout comme l’intimidation et la violence des groupuscules d’extrême droite, participe de la répression du mouvement.

Des élus ou des responsables politiques d’extrême droite s’invitent dans les manifestations syndicales. Le vote FN est présent chez les salariés. La CGT poursuit-elle son travail de pédagogie contre les dangers de cette idéologie ?

Philippe Martinez Oui, il y a besoin de décrypter le discours du Front national. Celui-ci, qui peut paraître sympathique pour de nombreux salariés, repose en réalité sur des bases racistes consistant à faire peser les problèmes des uns sur les autres, les étrangers qui vivent la même réalité. En dehors de son discours de façade pour s’adresser aux salariés, le FN a en matière économique et sociale des propositions profondément libérales. Sur la question de la suppression des cotisations patronales par exemple, c’est le même discours que celui du Medef. On ne peut pas dire, d’un côté, qu’on est favorable à la retraite à 60 ans et, de l’autre, vouloir la suppression des cotisations sociales. Sans cotisations, pas de protection sociale. Pour poursuivre son travail d’information, la CGT organisera prochainement dans le Gard un festival à ce sujet, et elle continuera de tenir des initiatives dans les territoires où le FN est bien implanté. Sur la présence de l’extrême droite dans les manifestations, on l’a vu encore le 15 mars dans le Nord, les élus FN sont venus provoquer les participants, et c’est finalement trois de nos camarades qui ont été placés en garde à vue.

Du côté opposé de l’échiquier politique, Jean-Luc Mélenchon propose d’organiser des marches le week-end, Benoît Hamon veut faire le tour des petites gares, et le PCF cherche à sensibiliser les usagers sur les dangers de la réforme ferroviaire. Le 22 mars, toute la gauche était présente au défilé. Comment percevez-vous ces initiatives politiques ?

Philippe Martinez Les soutiens sont toujours les bienvenus. Même le Parti socialiste était présent, mais nous n’avons pas la mémoire courte. Concernant la SNCF, le gouvernement précédent a d’ailleurs œuvré en acceptant l’ouverture à la concurrence. Gouvernement auquel appartenait Emmanuel Macron. Ils ont un passif. Le dialogue avec les usagers et les élus est bon à prendre. Quant à la temporalité des manifestations, même si nous n’écartons aucune mobilisation, nous savons aussi que beaucoup de salariés souhaitent agir par la grève. Vouloir le faire le samedi et le dimanche ne concerne qu’un petit nombre d’entre eux. Laissons pour l’instant les organisations syndicales gérer le calendrier des mobilisations sociales, et nous verrons plus tard s’il est opportun de décider de se mobiliser le week-end.

À l’aube du 50e anniversaire de Mai 68, pensez-vous qu’un grand mouvement social peut, non seulement exister, mais être populaire ?

Philippe MartinezIl est évident qu’un large mouvement social de contestation peut avoir lieu. Pour autant, les réalités du monde du travail sont différentes aujourd’hui. Des intérimaires, des contractuels, il n’y en avait pas beaucoup en 1968. Dans les entreprises, tous les salariés, quasiment, avaient le même statut. Nous devons travailler à élargir le mouvement dans les réalités du monde actuel. La question qui nous est désormais posée, aux syndicats mais également aux forces politiques, c’est de rassembler une majorité de mécontents et de montrer qu’il existe une alternative aux projets gouvernementaux. Nous travaillons, à notre niveau, à une alternative sociale, entre autres en proposant une réduction du temps de travail. En 1968, même si la droite a remporté les élections qui ont suivi, il y avait une véritable effervescence d’idées. Et l’existence d’une alternative, qu’elle soit sociale ou politique, joue sur la capacité de mobilisation. Si les salariés ne la perçoivent pas, cela peut avoir des traductions politiques profitables à des forces comme le FN.

 

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